D’autant plus capitale que les investissements engagés sont très lourds (développement, production, lancement), la prévision de la demande pour une innovation de rupture apparaît complexe. Rompant radicalement avec les technologies établies, l’innovation de rupture ouvre de nouveaux marchés, quand l’innovation continue procède par amélioration des marchés existants. Ce faisant, elle induit deux difficultés spécifiques. D’une part, elle s’adresse à des clients inexpérimentés, incapables d’en appréhender les qualités originales ou d’en comprendre les usages. D’autre part, elle se déploie souvent dans des écosystèmes en cours de structuration.
Ces difficultés rendent inopérantes les techniques classiques de prévision de la demande pour une innovation. Si ces difficultés peuvent être correctement adressées dans le cadre de tests de commercialisation au niveau local, le passage à l’échelle du marché de masse constitue souvent un obstacle fatal à l’innovation de rupture. A cet égard, les échecs répétés des constructeurs automobiles à déployer durablement le véhicule électrique sont tout-à-fait emblématiques. Le passage à l’échelle suppose de traverser le gouffre qui sépare les adopteurs précoces de la masse des consommateurs.
Miser sur un effet d’entraînement pour s’implanter sur un marché de masse représente ainsi un pari audacieux, associé au risque de confiner finalement l’innovation de rupture à des marchés de niche. Entre la « tornade » et la niche, les industriels doivent repenser leurs stratégies de déploiement et mieux dimensionner leurs efforts commerciaux pour réussir le passage à l’échelle du marché de masse pour leurs innovations de rupture. Dans cette perspective, un déploiement ciblé, mais à grande échelle, offre une troisième voie pour dépasser l’ « improvisation » souvent observée dans le déploiement des innovations de rupture. Ce déploiement ciblé nécessite toutefois d’imaginer un nouveau modèle de prévision de la demande spécifiquement adapté au cas de l’innovation de rupture afin de le préparer et de l’accompagner.
Le modèle USIDDI (User-centric SImulation for the Deployment of Disruptive Innovations) proposé dans cet article répond à ce besoin. En orientant le choix et le calibrage des stratégies de déploiement de l’innovation de rupture, il offre un outil d’aide à la décision interne. Au-delà, il permet également de quantifier l’impact potentiel de différents leviers de développement externes. Fondé sur une analyse des usages originale, il présente l’avantage de s’appuyer sur des éléments concrets liés aux expériences réelles des futurs clients. Intégrant par ailleurs une dimension spatiale, il documente des modes de diffusion vraisemblables et des recommandations opératoires. Le présent article se donne pour objectif de le présenter et d’en évaluer la pertinence.
Impliquant une rupture technologique (e.g., batteries dites lithium ion, motorisation électrique) et identitaire (i.e., préoccupations attachées au réchauffement climatique), une déstabilisation du business model et des usages (e.g., location de la batterie) et une remise en cause de l’environnement (e.g., infrastructures de recharge), le véhicule électrique est considéré comme une innovation de rupture. Dans cet article, le marché du véhicule électrique est utilisé pour illustrer le modèle USIDDI, qui montre notamment que le véhicule électrique ne saurait prétendre au marché de masse sans l’implication volontariste des constructeurs automobiles et des décideurs politiques. Le modèle USIDDI identifie également de potentiels leviers de développement pour ces acteurs et plaide pour un déploiement à grande échelle sur des zones géographiquement ciblées.
Pour citer : von Pechmann F., Chamaret C., Parguel B. et Midler C. (2016), “Comment prévoir le succès d’une innovation de rupture ? Le cas du véhicule électrique”, Décisions Marketing, 81, 81-97
Chercheure CNRS
Université Paris-Dauphine, DRM (UMR CNRS 7088), équipe M-LAB
Maître de Conférences
Ecole Polytechnique, Laboratoire I3 (UMR 9217)
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